Calotypes, premières séries

Prendre l'évolution des techniques à contre courant, tel est le projet de Martial Verdier. Pour ce faire, il a exhumé du passé de la photographie un procédé de tirage à partir de négatifs en papier, le calotype. Accentué par la texture du papier, le grain photographique est exorbité: il envahit les images et décompose les objets représentés en nuages de points et de taches La matérialité support est mise en avant, exhibée tout autant que le contenu des images. Formes et contenu fusionnent, les objets paraissent exclusivement faits de matière photographique. Ainsi, ce nu masculin qui apparaît comme une incarnation de la substance du cliché, oscille entre figuration et abstraction: c'est un corps et ce n'est qu'un réseau désordonné de points noirs qui envahissent toute l'image. Le paysage de l'arrière-plan et l'homme nu sont distincts mais Martial Verdier les confond dans une structure formelle commune. Il ne s'agit pas d'une union entre l'homme et la nature mais d'une fusion du réel dans une autre réalité, celle de l'image.

Danielle Aspis
Extrait du catalogue du Mois OFF 1994

Sur les Corps et les Vanités

Les gestes du silence

Le monde aujourd'hui est peuplé de trop de bruits. Et l'image, la lisse et plate image qui traduit le réel dans le même mouvement qu'elle nous en exile, cette image-là est le plus terrible de ces bruits en ce qu'il s'adresse directement à la conscience et détermine irrémédiablement la forme de nos croyances. Face à l'évidence de l'image, celui qu'un désir sans attache pousse à défaire le réel pour le recomposer, celui-là est au cœur d'une lutte permanente avec le cri muet qu'elle ne cesse d'être.
Martial Verdier a choisi. Il compose, impose de longs temps de pose à ses modèles, laisse l'alchimie des bains et des matières agir et ne désespère pas de conduire la photographie jusqu'au point où elle pourrait abandonner toute référence au réel pour se consacrer à l'invention de formes restées enfouies dans les rêves inachevés d'un dieu.
Alors, seul, il celèbre par des gestes invisibles tant ils sont lents, le silence tapi au cœur de toute image. Aux vanités qui parlent à l'âme le langage de sa disparition, il joint la dissolution des formes du corps dans une brume qui évoque immanquablement la trame secrète de la matière en acte qui nous compose. L'homme et les formes du réel ne sont que des possibilités parmi d'autres.
Ainsi, en rapportant la fabrication de l'image aux conditions initiales de son apparition, Martial Verdier célèbre moins la dissolution programmée de tout que le mystère concret et pourtant incernable de toute apparition.

Jean-Louis Poitevin